KHARJA 2015
Les ans passent, les hommes et leurs époques aussi. Et pourtant, comme un
incontournable rendez-vous avec l’Histoire, insécable et immémorial engagement surclassant toutes les craintes et obstacles du moment, l’annuelle procession mystique du village maraboutique de Sidi
Bou Saïd, la kharja, est revenue inéluctablement en cet ensoleillé dimanche 23 Août 2015.
Sous les regards enjoués et sourires satisfaits des passants du jour comme
des habitués des cafés, les dignes héritiers de Sidi Azizi, Sidi Dhrif, Sidi Chaâbane, Sidi Bou Farès, Sidi Ghebrini, Sidi Bou Chaala et du saint patron lui-même Sidi Bou Saïd, offrirent à nos yeux
émerveillés, nos cœurs et nos mémoires, un des événements majeurs de la culture et du calendrier soufi.
17h00, grosse chaleur, assistance déjà immense, un cavalier bien en selle,
buste et regard droit, son sabre fermement et fièrement tenu, monture parée avec soins, s’avança avec majesté et lança les festivités. Autour de lui, encensoir et oriflammes ouvrirent la voie au
cortège des adeptes et sympathisants dans une foule communiant déjà avec force leur enthousiasme et leur joie. Derrière eux, main dans la main, épaule contre épaule, les représentants des principales
familles psalmodient d’un même élan, même souffle, leur foi et unité à exposer la quintessence du patrimoine populaire et spirituel de leur localité. A leur suite, au rythme des tambourins et
battements de mains, au chant appuyé des uns et à l’ivre danse des autres, une virile énergie toute en vrilles mélodiques et incantations extatiques se dégage de ce vaste collectif qui ne fait alors
plus qu’un. Arpentant la colline et ses pavés, depuis l’escalier du kawa al-alya jusqu’à la fontaine du bas, fusionnant avec les collègues venus de l’Ariana, disciples de Sidi Ammar marquant ainsi
leur hommage au maître de leur maître (ce dernier venant passer trois jours chaque année chez Sidi Bou Saïd) puis remontant station après station cette même colline jusqu’à l’intérieur même du
mausolée et son patio de marbre, pour terminer le pèlerinage au sein du célèbre et divin refuge par une flamboyante hadra.
Par leur persistance à réaliser cette démonstration publique et à donner
sueur et chair à leur répertoire et rite, les issawis boussaidiens confirment tous les inestimables bienfaits de la Tradition sur ses villageois et au-delà. De sang, de sol ou d’adoption, toujours
par conviction, jeunes et anciens ensemble renforcent ainsi de la manière la plus vivante qui soit l’ancestrale alliance sacrée, et, par cette marche solennelle, affirment pour longtemps encore les
racines, les valeurs et la cohésion de leur nation.
Les ans passent, les hommes et leurs époques aussi. Et pourtant,
invariablement, à Sidi Bou Saïd, source de la Tradition, phare d’une éternelle Tunisie, la kharja célèbre le renouveau permanent, vivifie et régénère en profondeur visiteurs et participants comme
seule sait le faire une célébration soufie !